#55. Félix & Chépa – voyage d’un rêveur

Épisode du 6 juin 2023

Mais comment définir Félix Billet et son odyssée improbable en compagnie de sa fidèle Chépa, poule de son état ?

Explorateur : 1. Personne qui fait un voyage de découverte dans un pays lointain (bof) une région inconnue (il y a quelque chose). OU : 2. Personne qui se livre à des recherches dans un domaine particulier (il y a de ça, certainement).

Bouddhisme ZEN : L’approche du zen consiste à vivre dans le présent, dans l’ « ici et maintenant », sans espoir ni crainte. (Je prends.)

Dilettante : Personne qui s’adonne à une occupation, à un art en amateur, pour son seul plaisir. (Je garde.)

Affranchi : Qui s’est intellectuellement libéré des préjugés, des traditions. (Absolument.)

Zèbre : individu quelque peu bizarre, personne surdouée. (Tout à fait.)

Inclassable : qu’on ne peut ranger dans une catégorie déterminée (tout est là.) (1)

Bref, l’invité que je te présente dans cet extrait est un explorateur affranchi du genre zèbre, dilettante du slow travel, dont l’aventure très zen est parfaitement inclassable et totalement unique. C’est d’ailleurs sa première interview en podcast – et pour cause, l’animal n’est pas facile à joindre. Félix est sans doute l’invité qui m’aura le plus marquée cette saison.

Depuis plus de 3 ans, il sillonne les routes de Suisse et de France, sans but ni timing, dans un vélo-canoë (!) de sa fabrication. Le mot d’ordre pourrait être « zéro plan ». Pas de ligne directrice, pas de plan de route, pas d’argent ! Départ non prémédité, retour non prévu, Félix vit au jour le jour l’instant présent, et il faut avouer que cela lui va bien. Intriguant, surprenant, fascinant.

Dans cet épisode :

  • le départ non prémédité
  • les rencontres sur la route
  • mais surtout : réflexions légères et profondes sur la plus grande des aventures : la vie, et le sens qu’on lui donne (ou pas).

Si l’on me demande quelle est la personne la plus libre que j’aie interviewé jusqu’à présent, je n’aurai qu’une réponse possible : Félix.

Le surprenant vélo-canoe de Félix croisant un camion. Impressionnant!

Félix avec son improbable véhicule : un vélo-canoë, accompagné de sa compagne tout aussi surprenante, Chépa, poule pondeuse de son état.
Photos de cette page © Laurent Bleuze – ©RadioTélévisionSuisse www.paju.ch

Chépa la poule dans la roulotte

Chépa dans ses appartements

Félix dans son canoë-vélo

Félix en compagnie du réalisateur Matthieu Fournier, qui a réalisé le 52′ qui a fait connaître Félix au grand public.

« Mieux vaut aller à la pêche à vélo qu’en Mercedes au boulot »

« Pour vivre des moments forts, j’ai l’impression qu’il faut vivre des moments un peu plus difficiles. Comme les montagnes : pour qu’il y ait un sommet, il faut qu’il y ait des vallées. »

« Si on est prêt pour partir, c’est qu’on maîtrise déjà trop de choses. L’aventure, le voyage va nous modeler. Donc partir sans être prêt, pour moi, c’est une évidence. »

Félix Billet, Storylific, épisode 55

Où trouver l’invité

Instagram :    no way.
Facebook :     exclu.
LinkedIn :      quelque chose qui commence par « link » c’est mal parti.
Site Web :      trop étroit

Donc où trouver l’invité : au hasard des routes, avec un peu de chance.

 

Pour aller plus loin:

Film : « Félix et Chépa » de Matthieu Fournier, réalisateur et présentateur de « Passe-moi les jumelles », émission phare de la RTS. 52 minutes de fraîcheur et profondeur.

Adélaïde de Valence a écrit un des plus beaux articles que j’aie lus sur Félix pour Vélo Spirit – suivre le lien si vous en voulez encore !

Les définitions supra sont reprises ou inspirées du Larousse, de Wikipedia, du Robert et de lalanguefrançaise.com.

Illustrations sonores

Musique:

Cali by ItsWatR (Pixabay Licence)

Sons: 

 

 

Retranscription de l'épisode

Interview de Félix

AnBé – Bonjour Félix!

Félix – Bonjour !

AnBé – C’était un grand plaisir de te rencontrer au Wild Festival. Tu tournes beaucoup dans les festivals en ce moment. Tu es d’ailleurs encore sur un festival ce week-end. Et pourtant, contrairement à beaucoup de chercheurs d’aventure en quête de visibilité, tu n’as jamais envisagé ça. Tu n’avais pas du tout envisagé ce film. Je pense que tu n’es sur aucun réseau social. Tu vis complètement déconnecté, en fait, et c’est bien là le projet.

Donc c’est assez amusant de te voir que tout ça a aboutit à un film. Je pense que c’est grâce à la délicatesse de Mathieu Fournier qui a fait ce film, qui a bien compris ton projet, qui en a respecté totalement les contours flous, que ce film a pu naître. Pour le plus grand plaisir, quand on voit le résultat du vote du public au festival, en tout cas ici à Wavre, ça avait vraiment très très très bien donné.

On va commencer par le commencement. Pourrais-tu te présenter toi, puis présenter ton projet ou ton expérience en cours ?

Félix – Alors, pour me présenter, je dirais que je ne sais pas vraiment qui je suis dans tout ça. Donc, pour cette question, c’est fait.

Ensuite, l’expérience que je vis, comment la définir ? C’est pareil, je ne sais pas trop ce que je fais, je ne sais pas trop où ça va, mais il y a un peu l’idée de… Oui, de découvrir la vie d’une certaine façon, enfin, de…

AnBé – On va déjà commencer par ce qu’on sait. Donc, tu as quitté chez toi, sans projet particulier, autre que de rouler avec un véhicule improbable. Tu peux me parler de ton engin, tiens, comme ça, ça sera un bon point de départ, je pense.

Félix – Oui oui. Donc le vélo-canoë qui me permet de tracter ma maison, on va dire. Ça, c’était un projet que j’avais fait avant de partir. Et puis, je ne pensais pas du tout l’utiliser comme ça. En fait, à la base, c’était plutôt pour fabriquer un… pour essayer de faire un vélo qui peut aller sur l’eau. Mais il y avait dans l’idée d’aller à la pêche avec ça. Ça répondait à un besoin que j’avais quand j’étais petit.

Un peu un rêve de pouvoir aller sur l’eau et sur la route. Il y avait aussi dans l’idée de ce projet de me dire que quand j’ai intégré l’école d’ingénieur, je me disais que l’école d’ingénieur est un super lieu et aussi un moment dans une vie. C’est le moment de faire des choses un petit peu osées qui ne vont pas forcément marcher, mais qui nous ressemblent aussi. Je me disais voilà, il y a vraiment un bon moment où j’ai accès aussi à plein de ressources, des machines, des connaissances.

Je me dis, c’est le moment de faire un truc qui me plaît, peu importe si ça marche ou ça marche pas quoi. Et là en l’occurrence du coup c’était à fabriquer un canoë, donc ça me faisait travailler le bois, travailler la résine, ensuite la partie mécanique, concevoir un vélo, puis partir d’une feuille blanche, il y avait un petit peu ça. Et donc ça je l’ai fabriqué, il n’y avait pas de suite dans tout ça.

C’était juste l’idée de faire un vélo qui va sur l’eau et sur la route, quelque chose de très pragmatique. Mais en fabriquant ce vélo-canoë, ça m’a amené à rencontrer des gens. Parce qu’au début, je partais de la feuille blanche, j’essayais de dessiner un canoë, puis je me rendais compte que je n’arrivais pas, je ne m’improvisais pas le charpentier, enfin l’architecte marine du jour au lendemain. Et donc je me suis dit, ben voilà, moi j’ai pas les ressources en moi là sur le moment pour faire ça. Mais j’ai la motivation de faire ça,… qu’est-ce que je fais ?

En fait si moi j’ai pas la ressource en moi, il va peut-être falloir que j’aille la chercher ailleurs en fait. Et donc ça m’a amené à rencontrer des gens, rencontrer des gens qui font du canoë, qui fabriquent des canoës, qui dessinent des canoës. Puis ensuite, des gens qui fabriquent des vélos, qui dessinent des vélos, qui savent faire tout ça. Ce projet-là, finalement je l’ai fait sur les 3 ans d’école d’ingénieur sur mon temps libre.

De tout ça, une fois que j’ai fini l’école d’ingénieur, je ne suis pas allé bosser tout de suite, en me disant tiens, je fais un petit peu un point sur ma vie, jusqu’à maintenant. Finalement, j’ai beaucoup réfléchi à ce projet-là, ce vélo-canoë, qu’est-ce qu’il m’a apporté ? Qu’est-ce que j’en tire au final ? Qu’est-ce qui est… voilà, j’ai réalisé ce truc-là et puis voilà, qu’est-ce qui en sort en fait ?

Il y a certes un objet, mais en fait, il y a plein d’autres choses et ce dont je me rendais compte, c’est que, ce qui restait beaucoup pour moi dans ce projet-là, c’était surtout les rencontres que j’ai pu faire qui m’ont aussi aidé à concrétiser cette idée-là.

Et donc, juste en prenant le temps, on va dire avant même de partir, je me suis dit « tiens, j’ai envie de continuer à fonctionner comme j’ai fonctionné pour créer cet objet », qui était un peu un rêve pour moi. J’en ai rêvé beaucoup de ce truc là et je l’ai réalisé ce rêve.

Et aussi, une des choses qui est peut-être le plus important, c’est qu’en réalisant ce rêve, je me suis rendu compte que le jour où j’ai pu même tester ce vélo canoë, c’était quelque chose que j’ai idéalisé pendant des années et des années, et ça se concrétise et en fait, ce jour où j’ai pu réaliser ça, c’était pas forcément un jour si beau. Je n’ai pas rencontré le bonheur que je pensais rencontrer.

Parce qu’il y avait d’autres problèmes dans cette journée, enfin des choses qui faisaient que ok, je réalisais quelque chose d’extraordinaire, mais en même temps, il y avait plein de choses qui me perturbaient, qui n’allaient pas. Et en fait, je me disais ok, je peux maîtriser l’aspect technique, l’aspect matériel, mais je ne peux pas avoir forcément la maîtrise sur mon bonheur. Ça a cassé toute une façon de penser pour moi.

Dans ma tête, je me disais, je fais du vélo-canoë, mais le vélo-canoë est simplement un projet qui sort un peu des sentiers battus, qui fait intervenir plein de compétences différentes. Et puis, c’est un entraînement pour faire quelque chose d’encore plus fou derrière, mais plus fou sur le plan matériel, j’entendais. En fait, en concrétisant ça, je me rends compte que le bonheur, ce n’est pas forcément d’accomplir quelque chose.

Et donc, je me suis dit, mais finalement, j’ai des rêves et tout, mais que je les réalise ou pas, en fait, ça n’a pas forcément tant d’importance. Au lieu de voir un peu un schéma de toujours faire des choses plus impressionnantes, plus… je ne veux pas dire plus sophistiquées, plus compliquées, plus inaccessibles, tout ça n’a plus de sens.

AnBé – C’est génial parce que je viens de sortir un épisode ici, au moment où on enregistre, c’était les rêves ne meurent jamais. C’est toute une réflexion sur les rêves. C’est vraiment la réflexion, il y a quelqu’un dans ce film sur les rêves qui dit que le plus beau moment à Noël où tu rêves d’ouvrir tes cadeaux, c’est justement tout ce moment où tu rêves d’ouvrir tes cadeaux parce qu’une fois qu’ils sont ouverts, t’es content, tu joues deux semaines avec et puis tu rejoins le bac à jouets avec tous les autres et voilà on dirait que c’est un peu ce qui t’es arrivé.

Félix – C’est exactement ça et quand tu prends quelque part conscience de ça tu te dis que le rêve en soi, ce n’est pas forcément ça le plus important. Donc c’est ce qui, moi, m’emmène sur la suite, je ne l’avais pas du tout en tête, mais ça m’a fait vachement réfléchir sur plein de choses, en fait. Ça m’a fait revoir complètement ma façon de penser. E

t de ça, en est sortie cette idée de petite caravane, enfin c’est la partie matérielle on va dire de toute cette réflexion. Mais en fait la caravane en soi c’est peu de choses, c’est la partie visible de l’iceberg. Le socle c’est beaucoup plus une façon de penser, un questionnement, il y a quelque chose de flou, il y a un flou dans tout ça.

Mais en tout cas, il y a quelque chose pour moi où j’ai l’impression dans cette expérience là que je vis aujourd’hui, j’ai l’impression de régresser sur le plan technique. J’ai fabriqué le vélo-canoë où là il y avait quand même… Enfin le canoë je me suis appliqué à le faire, j’étais sur un dépassement sur le plan technique, il y avait plein de choses que je ne maîtrisais pas et que j’ai dû franchir des obstacles concrets.

AnBé – Parce que ce canoë tu l’as vraiment fait de A à Z. Donc ce n’est pas un canoë aménagé, tu es vraiment parti du bambou brut.

Félix – Du coup c’était brut, j’ai pris du bois brut.

AnBé – Je crois que c’était du bambou, pardon.

Félix – Non, c’est la structure de la caravane qui est en bambou. Mais après peu importe. C’est bien en tout cas de dire, un canoë c’est pas une réalisation en soi qui est inaccessible. Mais moi au moment où je l’ai fait, j’avais jamais fait ça, j’utilisais des choses que je ne maîtrisais pas. Donc c’est là où pour moi l’obstacle était, voilà il y avait un challenge, il y avait un projet, il y avait tout ça. Mais dans ce que je vis aujourd’hui, ça amène plus un mode de vie. Sur le plan technique, en tout cas, j’ai régressé, j’ai pas…

AnBé – T’as plutôt simplifié, en fait. T’as plus cherché la sophistication.

Félix – C’est très simple. J’ai pas cherché la sophistication. Même si parfois, là, ça peut arriver que je vais sophistiquer des trucs, mais en tout cas, le but n’est pas de faire mieux, c’est pas d’aller plus haut que le vélo-canoë si on compare, on va dire, la difficulté technique. La prouesse technique est bien moindre sur la caravane que sur le vélo-canoë.

AnBé – Là, tu dis un truc super important que je vois souvent, c’est que souvent les gens qui veulent réaliser des grands projets, ça peut être n’importe quoi, même un petit, mais tu veux changer de boulot, tu veux monter une boîte, tu veux créer un truc, tu veux devenir artiste ou créateur. Tu te rends compte que finalement l’étape la plus importante, ça va être celle qui va t’amener à travailler sur toi-même.

Tu dois changer un peu qui tu es, ou te découvrir, savoir ce que tu veux, qui tu es, tes ressources, tu t’apprends toi-même. Et finalement, c’est l’apprentissage de soi qui va créer la possibilité d’aller plus loin. Mais c’est dingue, comme à chaque fois, on veut créer une boîte et en fait, on se rend compte qu’on doit commencer à travailler sur soi, pour n’importe quel projet, je veux dire.

Cela revient tellement tout le temps que c’était intéressant que tu me ramènes à ça. Tu dis, voilà, avec toute la technique que tu avais en tête. Et puis finalement, c’est devenu de plus en plus épuré. Et puis de plus en plus ça, mais c’est quoi l’expérience humaine ?

Félix – C’est ça, en fait, voilà, oui ça questionne tout ça. J’aime beaucoup tout ce qui est matériel, technique. J’adore et je m’exprime beaucoup avec ça, mais là, dans l’expérience que je vis aujourd’hui, c’est comme si je mettais ça au second plan. Et en fait, là, quelque chose que je découvre est…

Dans ma tête, au début, je ne voulais même pas partir avec le vélo-canoë. Je voulais faire une caravane toute finie, toute option et qui serait nickel sur le plan technique. Mais en fait, quand j’ai voulu fabriquer ça, c’était très difficile. J’étais face à beaucoup trop de doutes et j’avais pas non plus les mêmes moyens quand j’étais à l’école d’ingénieur. Je faisais ça chez mes parents.

Et en fait, si dans une journée, j’arrivais à simplement à planter un clou, c’était déjà quelque chose d’énorme parce que j’avais déjà avancé sur le plan matériel. Entre le temps où j’ai fini mon école d’ingénieur et le temps où j’ai démarré avec le vélo et la caravane, et bien il s’est écoulé un peu plus d’un an. En fait, le travail que j’ai fait concrètement, visible, je pense que je pourrais le faire en quelques jours.

C’est-à-dire que là, il m’a fallu, il m’a fallu plus d’une année pour faire le travail que je pourrais faire en 3 jours. Et ce que j’ai fait, j’ai rien fait pendant ce temps-là ? En fait pas du tout. J’ai avancé intérieurement et ce qui fait que le jour où je suis parti, j’avais pas fini ma caravane. C’était pas du tout comme je l’avais imaginé sur le plan technique. Parce qu’a un moment, il fallait que je parte et je suis parti, dans… Il y avait trois fois rien en fait.

Mais là ce que je découvre et ce que je découvre encore, c’est qu’elle se construit sur la route avec que des choses que les gens me donnent. Donc en fait, ce qui va faire que je vais améliorer matériellement, enfin modifier matériellement ma caravane, c’est que d’abord je rencontre des gens qui sont prêts à m’aider. Donc c’est à ce niveau-là que je dis que je mets le côté matériel au second plan et le côté humain.

S’il n’y a pas de rencontres et de gens qui sont prêts à m’aider, je ne fais rien. Et donc après, tout ce qui en découle, le fait de faire sans argent, c’est-à-dire que je ne fais plus, je fais zéro course, en quatre ans je n’ai rien acheté, je n’ai rien dépensé, je fais complètement sans argent, ça m’assure que je vais fonctionner uniquement sur l’humain.

Et donc, si je ne rencontre personne, si personne n’est prêt à m’aider, s’il n’y a pas de générosité, s’il n’y a pas d’humanité, moi, je ne fais rien. Par contre, dès lors que je vais rencontrer quelqu’un qui est ok pour m’aider, suivant la personne, suivant ses compétences, suivant ce qu’il peut m’apporter, je vais réaliser ce que je réalise.

Et là, je réalise des choses qui me dépassent. Parfois complètement. Là, par exemple, … Voilà, je dirais au début, je suis parti, j’avais rien d’étanche, j’avais du papier journal pour faire les murs, j’avais pas de porte s’il pleuvait toute la pluie rentrait, j’avais juste un sac de couchage mais j’avais pas de quoi me chauffer, j’avais rien quoi.

Et là, aujourd’hui, j’ai mis fait une petite couchette assez confortable, j’ai un petit évier, un petit poêle et là j’ai même ma caravane qui peut flotter.

J’ai fait toute une coque en fil de carbone et en bois, enfin c’est des trucs ça me coûterait un fric monstrueux mais là c’est un concours de circonstance qui fait que j’ai rencontré des bonnes personnes au bon moment, enfin, ce qui fait que, ah bah tiens, quelqu’un qui avait de la fil de carbone, de la résine epoxy qui s’en débarrassait, enfin, ben tiens vas-y si tu veux faire ça vas-y fais-le, c’est des choses où je m’interdisais presque d’y réfléchir parce que ça me faisait très envie, mais en même temps, je savais que ça allait être très compliqué à réaliser, puis que j’avais pas les moyens pour le faire. Là, aujourd’hui, sans un sou, j’arrive à…

AnBé – Parce que tu ne te demandes rien, c’est important aussi.

Félix – Je ne demande rien, mais en fait, je suis juste ouvert à ce que la route, l’aventure, la vie me met entre les mains, ou pas. Des fois, je n’ai rien, et en fait, le rien a du bon aussi. Mais des fois, j’ai accès à plein de choses, j’ai aussi une rencontre, je ne sais pas. Le patron d’une grosse boîte qui est charmé par la poésie de mon aventure et qui me dit « écoute, je suis prêt à t’aider, tiens, j’ai telle machine, j’ai tel truc, j’ai tel truc. Tu as carte blanche, tu fais ce que tu veux ».

Des fois, je suis presque démuni parce que j’ai trop de choix, j’ai l’embarras du choix. Je peux dessiner, imaginer ce que je veux et c’est mon imagination qui limite, en fait. Et puis des fois, j’ai trois fois rien, il faut que je me débrouille avec un bout de ficelle, un couteau et puis il faut que je fasse je ne sais quoi. Donc il y a un peu cette…

AnBé – Tu sais qu’en créativité, en artistique, en écriture créative ou pour plein d’autres choses, on te donne des contraintes parce que ça débloque. Parfois on a une analysis paralysis, quand on a trop de choix, on reste un peu figé.

Félix – Exactement.

AnBé – Dans le « qu’est-ce que tu veux faire plus tard », parfois quand tout est possible, un charpentier ou paysan, bon voilà, c’est facile de choisir, mais quand tu peux être à peu près tout, ça devient compliqué. Non, c’est plein de très, très chouette chose dans ce que tu dis. Ça me fait penser à plein de trucs.

Là, j’ai le cerveau en feu d’artifice. Ça me fait penser aussi à une chose où je voyais les moines. On avait fait un grand tour en Asie pendant quatre mois avec les enfants. Tu rencontres partout les moines bouddhistes avec le bol, qui eux, vont quand même de porte en porte. Ils vont quand même demander eux.

Mais je veux dire toi tu vis aussi comme ça de cette générosité et justement ils reçoivent trop parce que les gens veulent tellement montrer leur foi, leur respect aux moines etc. qui donne tellement qu’ils doivent même jeter ou redistribuer à tous ceux qui viennent pendant la journée au monastère quoi. Mais il y a trop.

On en est là, mais pourquoi pas limiter ou quoi ? Mais on ne peut quand même pas refuser aux gens d’aller montrer leur générosité. Je veux dire, les familles souffriraient vraiment que le moine ne soit pas passé parce qu’il avait assez, que eux, ils n’aient pas pu avoir ce geste de générosité. Et tu as dit quelque chose de très similaire au festival dans les questions réponses, je pense, c’est que tu dis que ta démarche, quelque part tu t’es rendu compte que ça permettait aux gens d’exprimer leur générosité. Tu as dit quelque chose dans le genre…

Félix – Oui, tout à fait. Oui, ça fait vivre cette générosité, oui, tout à fait.

AnBé – C’est l’humanité aussi que tu cherches un peu sur la route finalement, alors ?

Félix – Oui, je pense. Enfin je ne sais pas ce que je cherche, mais en tout cas, j’ai l’impression de rencontrer l’humanité. Et c’est certainement une des choses qui fait que l’aventure est peut-être plus longue que ce que j’aurais pu imaginer.

AnBé – Oui, en fait, tu es parti sans plan. Tu ne pensais même pas partir le jour où tu es parti. Tu peux raconter le départ ? On dit toujours, il faut partir avant d’être prêt. Il faut démarrer un projet. Il faut se lancer avant d’être prêt. Parce que sinon, comme on n’est jamais prêt, on ne se lancera jamais.

Félix – Oui, ou si on est prêt, c’est qu’on maîtrise déjà trop de choses. Le fait de ne pas être prêt, l’aventure, le voyage va nous apprendre, va nous sculpter. Donc c’est pour ça que finalement le fait de partir sans être prêt, pour moi ça me semblait être très important en fait.

AnBé – Mais tu n’avais quand même pas… Oui voilà, c’est un concours des circonstances, c’est quoi ? Tu t’étais enfermé en dehors de chez toi, quelque chose comme ça ?

Félix – En fait oui, voilà, je rentrais le week-end et j’habitais officiellement chez mes parents, mais bon, j’avais quand même 25 ans à l’époque, donc c’était pas… et là je rentre, je vais pour rentrer chez mes parents mais j’avais oublié mes clés. Et mes parents étaient partis pour une semaine en vacances et donc je me retrouve à la porte.

Après j’aurais pu aller n’importe où mais c’est juste que tout ce que j’avais prévu de faire dans la semaine, je ne pouvais donc pas le faire puisque je ne pouvais pas rentrer. Mais j’avais accès quand même à mon vélo canoë et à ma caravane que je stockais pas chez mes parents, je stockais ailleurs. C’est juste que ça m’a arrêté dans mon quotidien.

Je me suis dit ben voilà là je peux pas faire ce que j’ai prévu mais en fait ce qui est le plus important pour moi, c’est quelque chose que j’ai caché j’en parlais très peu en fait de cette idée de partir en avec ma petite caravane. Parce qu’on me posait une question j’étais là… « oui tu feras comment pour …? Tu vas dormir où ? Oui, puis tu feras comment sur la route ? Oui, mais c’est interdit de rouler avec ça ? » Enfin, plein de questionnements qui te freinent direct en fait.

Puis tant que tu n’as pas les réponses, tu te retrouves bloqué et tu te dis : « ah oui c’est vrai, non mais c’est vrai faut pas que je fasse ça c’est complètement fou ».

Donc j’en suis arrivé à un point où j’en parle pas puisqu’à chaque fois que j’en parlais on me disait que mon truc c’était complètement farfelu et que c’était complètement fou et fallait que je pense à faire quelque chose d’un peu sérieux dans ma vie quoi. Donc je me suis fait une carapace en fait, où voilà je parlais d’autres choses avec les gens en fait puis… Mais ça, ce qui me tenait vraiment à cœur, je l’ai protégé vraiment.

Et du coup, je n’en parlais pas. Mais ça continuait. Enfin, la flamme était là, même si elle était toute fragile, il n’y avait plus grand-chose. Là, en fait, ce moment où je ne peux pas faire ce que j’avais prévu, mais en fait, j’avais quand même accès à mon vélo parce que je stockais ailleurs. J’avais quand même accès à ma caravane.

Là tout d’un coup, est-ce que c’est pas le moment de faire revivre cette flamme en fait ? Je l’ai vu comme ça en fait. Je me suis juste retourné derrière moi et je me suis dit : “bah attends là, ça fait plus d’un an que j’ai envie de vivre ça et là je le fais pas et en fait j’arrive plus à avancer, est-ce que c’est pas le moment de partir ?” Est-ce que si je pars pas aujourd’hui, je ne partirai pas demain, je ne partirai pas la semaine prochaine ?

Donc voilà, quelque part, le fait de ne pas avoir les clés chez mes parents, c’est comme si j’avais les clés de chez moi. Mais ma caravane n’avait même pas de porte. Donc oui, j’avais les clés de chez moi et j’avais qu’à me lancer, en fait. Mais la porte, elle était grande ouverte, mais je ne la voyais pas. C’est juste qu’il fallait partir, mais c’était complètement bancal. Je ne pensais pas partir avec le vélo-canoë, mais j’avais accès à mon vélo-canoë.

Et puis, après coup et c’est évident maintenant, mais le fait d’avoir le vélo-canoë, ça m’a permis de rencontrer les gens. C’est vraiment ce que je dis. Mon vélo-canoë, comme je dis, la première fonction, c’était d’aller sur l’eau et sur la route.

La deuxième fonction, mais que j’aurais pu anticiper, c’est un outil de rencontre, en fait, et c’est ce qui me sert beaucoup dans cette aventure, c’est qu’il me permet de rencontrer les gens. Et ça me permet de fonctionner sans argent, sans rien. J’ai aussi des fois, mon vélo-canoë, c’est l’équivalent de ma carte bleue.

C’est ce qui me permet de rencontrer les gens et de vivre. Enfin les gens m’apportent ce dont j’ai besoin, mais c’est parce qu’il y a cette curiosité-là. C’est une chance, bien sûr. Après il est bancal, il y a toujours des choses qui cassent, il y a toujours des…

Mais en fait, ça va avec un tempérament, avec une philosophie de vie, de se dire que si j’ai quelque chose qui casse… tant mieux, c’est prétexte à rencontrer du monde. Et c’est très bien. Mon vélo-canoë, finalement, au lieu qu’il prenne la poussière dans un hangar chez mon frère, là, je le fais vivre. Et puis, bien sûr, il se casse, il y a des choses qui s’abîment et tout, mais il vit. Et ce vélo-canoë, c’était mon rêve, à un moment. Donc, je continue de faire revivre le rêve.

AnBé – Tu m’as dit aussi quelque chose de vachement important là, c’est que tu remarques qu’on est dans une société où on te dit : “il faut que tu aies tout toi-même”, tu as ta foreuse, tu t’en sers une fois tous les deux ans, mais il faut que tu aies ta foreuse, il faut que tu aies ceci, il faut que tu aies cela, pour être parfaitement autosuffisant.

Or, quand tu es en train de faire un gâteau, tu es quasi au bout et que tu te rends compte qu’il te manque un œuf ou quoi, et que tu vas frapper chez les voisins. En général, ils sont tous contents de pouvoir justement faire un petit geste, de pouvoir remettre de l’entraide, vraiment un esprit de communauté qu’on n’aurait jamais cessé d’avoir.

Cet individualisme qui est aussi créé parce qu’effectivement tu vends beaucoup plus de foreuses quand tu fais croire à tout le monde qu’ils ont besoin de leurs foreuses dans le garage. Mais justement, retrouver cette entraide, ça fait du bien, effectivement. Moi j’aime bien quand il me manque un œuf (rire).

Félix – Oui, tout à fait. Après voilà…

AnBé – (rire) Pas pour aller leur taxer un œuf, mais juste pour le… C’est un prétexte effectivement.

Félix – Oui c’est ça. C’est un prétexte exactement, complètement. Après voilà, quand il y a quelque chose de… Quand une relation de voisinage établie pour le coup, je trouve qu’il va vite y avoir un… Il y a un échange en fait.

AnBé – Ça se perd fort dans les grandes villes. Plus la ville est grande, moins tu as ça. Plus tu essaies de ne pas déranger. Parce que déjà, l’espace de chacun est tellement limité, la liberté de chacun est tellement limitée qu’on a assez envie de respecter les gens. Mais quelque part on ne connaît parfois pas son voisin de palier. Donc oui, il n’y a plus d’esprit dans un tout petit village. Moi je suis moins isolée dans mon petit village de 15 maisons que quand je viens ici en ville.

Félix – Oui tout à fait.

AnBé – Et toi aussi tu as remarqué ça tu disais, tu avais une belle phrase sur les rencontres, sur les autoroutes il y a beaucoup de monde. Attends qu’est-ce que tu nous avais dit ? Tu vois cette phrase-là ?

Félix – Oui, je disais mais en fait ça se retrouve effectivement dans les grandes villes. Mais oui, je disais que sur les autoroutes on croise beaucoup de gens. C’est-à-dire que là, dans toutes les voitures qu’on croise, on va croiser des centaines, des milliers, mais on ne les rencontre pas. Mais c’est pareil dans les villes, là, moi par exemple, en venant au festival à Wavre, là j’ai dû passer un peu dans Paris, dans Bruxelles, enfin. Et j’aime bien ce décalage, parce que c’est pour moi…

Enfin je ne suis jamais dans les grandes villes, en fait, quand je suis avec mon vélo et ma caravane, je passe plutôt dans les petits villages, dans des coins très reculés. Et ça m’a frappé de me rendre compte que là dans la grande ville, tu croises, pareil, des centaines et des centaines de personnes. C’est incroyable le nombre de gens qu’il y a.

Mais en fait, tu ne fais que croiser des regards, croiser des gens, mais tu ne rencontres jamais personne. C’est à l’opposé quand je suis dans mon vélo-canoë et ma caravane au milieu de nul part où dans la journée, je vais peut-être rencontrer 5-6 personnes. Mais sur ces 5-6 personnes, il y a de grandes chances que 1, 2, 3, 4, voire toutes, qui vont s’arrêter et je vais vraiment les rencontrer, je ne vais pas simplement les croiser.

Et donc voilà, il y a un peu ce truc-là qui est assez… Voilà, ce côté ou on se croise, se croiser et se rencontrer. C’est un peu de choses différentes, mais faire que rencontrer des gens, il y a un moment, c’est saoulant aussi. Donc le côté anonyme, le fait de croiser des gens, cela peut faire aussi du bien. Pour moi, il n’y a pas de jugement à voir, mais c’est un fait.

C’est effectivement une constatation qu’on peut faire. Et effectivement dans les grandes villes, on croise beaucoup de gens, mais on les rencontre beaucoup plus difficilement.

AnBé – Oui, exactement. J’aimais bien aussi sur le fait que tu disais que dans ton canoë, tu devais même essayer de limiter, tu n’acceptais pas tout ce qu’on te donnait parce que tu dis que la charge mentale devenait une charge matérielle, que si tu mettais trop dans cette caravane, mais forcément elle devenait vraiment difficile à tirer. Je crois qu’elle fait 160 kilos pour le moment, c’est ça ?

Félix – Oui, à peu près. Après, ça fluctue justement des objets que je vais accumuler ou pas. Mais oui, grosso modo, c’est à peu près ça. Là, depuis que j’ai refait la coque, je ne sais pas à combien de poids je suis.

AnBé – Mais l’intérêt, c’était de dire, cette métaphore quelque part de l’encombrement matériel, pour toi ce n’est plus du tout une métaphore, c’est bien réel, c’est bien concret.

Félix – Voilà, c’est ça, c’est ça. J’ai matérialisé quelque chose d’immatériel, on va dire, c’est un petit peu ça l’idée. Et quelque part, je peux gérer ça matériellement quoi, si je me libère de certains objets, j’ai vraiment l’impression de me libérer dans la tête aussi.

AnBé – Tu t’allèges vraiment. Toutes les métaphores fonctionnent, mais au premier degré.

Félix – Voilà, c’est ça. C’est assez hallucinant, d’ailleurs, une fois de se balader là-dedans. De se dire “tiens, j’ai tel l’objet, il m’apporte ça, mais en même temps, je le porte”… Enfin bon bref.

AnBé – C’est vrai que ça te tourne à la réflexion philosophique.

Félix – On peut le décliner en plein de…

AnBé – C’est sympa, c’est vraiment sympa. On n’a pas encore parlé du fait que tu as une colocataire, en fait, dans tout ça, qui pèse pas bien lourd, heureusement, mais tu peux nous parler de ta coloc ?

Félix – Ma coloc, oui, elle est bien sympa. Elle a son petit appart mobile et puis voilà. C’est pareil, elle s’est invitée dans l’aventure après que cela faisait un an que j’étais parti. Et puis, c’est un paysan qui me l’a donnée sur la route.

AnBé – Et donc, c’est une poule. On va lever le suspense. Une jolie petite poule rousse. Donc, elle t’a été donnée comme ça. Boom.

Félix – Voilà, oui.

AnBé – Pour que tu aies des œufs, pour que tu la manges ?

Félix – C’est ça. Enfin non, non, non.

AnBé – Tu l’as caressé toute la journée et on t’a dit “tu la veux ?” Qu’est-ce qu’il s’est passé? Comment est-elle arrivée dans l’équation ?

Félix – Non, non, non. C’était plutôt… Là, j’étais dans un lieu où je suis resté assez longtemps. Et puis, on a sympathisé avec un paysan. Puis, il y avait des poules aussi. Et puis, je ne sais plus trop comment… C’est parti un peu sur une… C’était un peu du second degré au début, on déconnait un peu. Et en fait, il m’a dit : “bah écoute, si tu veux une poule, tu peux repartir avec une poule, si tu en veux deux, t’en prends deux.”

Puis au final, je suis reparti avec une poule, quoi. Et puis voilà, en se disant, si ça marche pas, si elle se fait pas au voyage, c’est pas grave, je la redonne sur la route. En fait, je suis parti comme ça pendant 10-15 jours, elle a arrêté de pondre, elle me disait, est-ce que ça va marcher ou pas ? Et puis après 10-15 jours, elle s’est remise à pondre un œuf.

AnBé – Ah donc elle pond !

Félix – Puis là, ça fait quoi ? Ça fait plus de 3 ans que je l’ai. C’est de la compagnie, ça donne encore une autre dimension. C’est-à-dire… Ce que j’aimais bien là-dedans… Ce que je dis souvent, “ce que je vis là, ce n’est pas un voyage mais plus un mode de vie”. Et donc plus une façon d’habiter, une façon où j’ai vraiment ma maison. C’est une maison qui bouge.

Donc le fait d’avoir une poule, la poule elle a besoin d’un jardin quelque part. Donc ça fait que quand je m’arrête quelque part, j’ai besoin presque tout le temps de trouver un jardin pour la poule en fait. Puis la poule, elle s’approprie un petit peu le jardin.

Ça me force aussi à m’arrêter assez régulièrement parce qu’elle a une petite cage et ce n’est pas agréable pour elle. Et donc souvent, si je roule longtemps, elle va me le rappeler. Elle va chanter un peu de plus en plus fort. Et puis, du coup, c’est là à dire “ hé c’est ta maison”. Le but n’est pas de bouger.

Ça me rappelle ça, ça ancre quelque part l’idée que c’est plus une façon d’habiter, plus un mode de vie. Donc ça me rappelle ça en permanence. Ça m’empêche de rouler en fait quelque part. Mais c’est très bien.

AnBé – Oui, carrément. Mais c’est génial cette idée que quelque part, cette poule et ses caquètements te rappellent des arrêts et que ce n’est pas une course, que ce n’est pas l’exploit, que quelque part, qui te ré-encre un peu dans juste le fait de vivre l’instant présent. C’est assez marrant. Et alors, ce dont on n’a pas encore parlé. C’est du nom de ta poule qui pourrait être le nom du projet ?

Félix – Oui, tout à fait. Oui, ça va bien. Ça représente bien ce que je fais ou que je ne fais pas, d’ailleurs. Oui, elle s’appelle Chépa.

AnBé – Elle s’appelle, Chépa. Voilà, parce qu’on te le demandait tout le temps et tu répondais tout le temps : “euh j’sais pas”. Donc tu as fini par décider que c’était son nom.

Félix – C’est ça, je ne suis pas allé chercher plus loin que ça. C’est aussi au passage une réponse que j’utilise quand même souvent quand on va dire « tu vas où ? Je ne sais pas », ou  «Combien de temps ? Je ne sais pas ». Il y a beaucoup de choses qui ne sont pas définies. Ça pourrait être un peu le symbole de ce que je fais ou que je ne fais pas, surtout.

AnBé – Que tu ne fais pas, oui (rire). Excellent.

Félix – Oui, c’est ça. On se définit souvent par ce que l’on fait. Et là, je ne me définis pas vraiment. C’est important de faire, c’est important de ne pas faire aussi dans ce que je ne fais pas.

AnBé – Exactement. J’ai des questions de mes petites filles, je les intéresse toujours à ce que je vois, à ce que je fais quand j’interviewe. Et donc, elles ont des questions pour toi.

Valentine – Est-ce qu’il y a les voitures derrière toi qui klaxonnent ?

AnBé – Parce qu’elle voyait justement dans la petite bande annonce, tu montais assez doucement sur une petite route de montagne où il n’y avait pas moyen de dépasser, ça c’était très visible.

Félix – Oui, alors ça peut arriver, alors c’est vrai que quand je suis sur une toute petite route, ça c’est vraiment des choses qui m’embêtent vraiment. Quand ça gène, ça c’est vraiment quelque chose que j’essaye d’éviter. Don j’essaie vraiment de prendre des petites routes où il n’y a personne.

Puis, il y a une tendance à, quand je suis vraiment sur des petites routes, les gens souvent qui vont être sur ces petites routes ont plus le temps que quand on est sur des gros axes où les gens sont plus pressés.

Mais oui, ça arrive que les gens klaxonnent, mais la plupart du temps, c’est plutôt bienveillant, c’est plutôt pour m’encourager, c’est beaucoup plus ça. C’est moins fréquent finalement que les gens vraiment soient nerveux. Ça arrive évidemment, mais c’est en proportion, c’est plutôt rare. C’est plutôt rare aussi parce que je vais faire attention à rouler.

Quand je suis sur une route un peu dangereuse ou un peu tendue, je vais essayer de rouler aux heures creuses, de rouler les jours où il fait beau, les dimanches puisque les moments où les gens vont au boulot…

Voilà, en étant à l’écoute un petit peu de tout ça, ça me permet de vraiment minimiser ces problèmes-là. Mais c’est vrai que si j’allais sans sentir ça, j’y vais à un moment où les gens vont au boulot et qu’ils sont un peu en retard et qu’il n’y a qu’une route pour y aller et que… Là, c’est sûr que ça ne passerait pas.

AnBé – Et alors la question d’Amandine.

Amandine – Est-ce que c’est facile de vivre comme ça ?

AnBé – Ça c’est une sacrée question je trouve.

Félix – Oui, c’est une vraie belle question. Non c’est pas facile. Je dirais je fais une distinction entre la facilité et la simplicité. La facilité c’est, je dirais, si on se laisse, comment dire… Par rapport à mon vécu, si je suivais la facilité par exemple, voilà. J’ai fait l’école d’ingénieur, en sortant de l’école d’ingénieur, il y a comme une sorte de pression sociale qui est là, qui te pousse quelque part à aller chercher une entreprise où tu dois être utile.

On va souvent rechercher une reconnaissance, il faut vivre, il faut bien vivre, il faut être autonome. Et tout ça fait que la plupart des gens vont chercher un boulot. Pour ces raisons-là que j’ai pu définir, avoir de quoi vivre, parce qu’on a peur de ne pas manger, de se retrouver à la rue. Mais il y a aussi beaucoup de la reconnaissance et puis ce besoin de se sentir utile dans ce qu’on fait. Ça pour moi ça aurait été, pour le coup, la facilité d’aller bosser en tant qu’ingénieur dans une entreprise, faire de la production de je ne sais quoi.

Mais bien que ça me plaise, il y a plein de problématiques industrielles que je trouve très intéressantes et ça me plaît sur le plan concret et j’aimerais bien, pour le coup, je ne fuis pas ça. J’aime beaucoup tous les métiers qui sont liés à ça. Mais c’est plus la question du sens qui me tourmente aujourd’hui, en tout cas. C’est que j’ai l’impression, et là, dans cette pause que j’ai faite après l’école de l’ingénieur, qui est donc, pour le coup, pas facile, c’est tout simple.

Il y a juste besoin de rien faire, on va dire, c’est simple. Mais il faut supporter quelque part toute la pression sociale de : “mais qu’est-ce que tu fais dans la vie ?, Comment tu fais pour vivre ? Et comment tu vas faire ? Mais tu n’as pas l’impression d’être un peu un parasite ? Tu n’as pas l’impression que…?” Il y a tout ça qui fait que ça va nous faire douter.

Pour accéder à une forme de simplicité, c’est très difficile d’être finalement, d’aller bosser, comme je le disais…

AnBé – C’est une formule que tout le monde a adorée dans la salle. Quand tu disais… Tu avais dit en conclusion, : “mieux vaut aller à la pêche à vélo qu’en Mercedes au boulot.” Mais parfois tu disais aussi, “j’aimerais bien aller bosser, ce serait plus facile”.

Félix – Mais exactement, c’est exactement ça. Mais donc, c’est là où pour moi ce que je fais n’est pas dans la facilité parce que quelque part, voilà, il y a pour moi un peu un tourment qui est de ça, ce fait d’aller travailler pour produire. Moi j’ai l’impression qu’on a trop. Donc si c’est produire alors qu’on a trop, ça ne fait pas sens en fait.

C’est là où pour moi il y a un peu un truc où c’est terrible parce que j’aime construire, j’aime fabriquer, mais c’est la question du sens qui me rattrape en fait. Et finalement, l’aventure que je vis là où le vélo-canoë c’est une production, c’est une prouesse technique à mon échelle.

Mais à mon échelle, c’est une prouesse technique par rapport à qui j’étais, quand j’étais étudiant, le fait de le mener comme je l’ai fait, c’est ça. Mais en fait, il y a ce questionnement qui vient après ça, le fait d’avoir réalisé ça, je me rends compte que dans la prouesse technique et dans l’accomplissement matériel, le fait de… Je ne sais pas, là, j’ai fait un vélo-canoë par exemple, la société.

Si j’allais à la facilité, il y aurait cette idée de : « t’as fait un vélo-canoë, tiens, il y a une idée qui peut être intéressante, peut-être que ça peut intéresser d’autres gens. »

AnBé – Tu fais breveter, t’essaies de rentabiliser.

Félix – Voilà, il y a cette idée de tu peux breveter et qui dit breveter, ben c’est quoi ? C’est créer un business pour en vendre et la réussite serait, la réussite logique on va dire, serait d’en construire un deuxième puis le vendre, puis un troisième, puis un dixième, puis un centième, puis un millième, puis si j’en vends un million, puis si j’en fais un milliard et que je m’enrichis, c’est ça la réussite. Ce serait…

Alors, bien sûr, ça ne fonctionnera pas pour plein de raisons matérielles, mais quand bien même ça marcherait, c’est ça pour moi, j’appellerais ça la facilité au sens où je n’ai pas changé, je reste dans un modèle où tout fonctionne comme ça. C’est ce qu’on va souhaiter à quelqu’un qui a une idée, ben tiens, développe-la ! Et tu pourrais te faire de l’argent.

Mais comme là dans l’aventure que je vis là, des fois on va me dire « Ah mais attends, et tu pourrais écrire un livre, tu pourrais faire une vidéo, tu pourrais publier des chansons, et puis tu pourrais gagner beaucoup d’argent. » Et puis tu… Oui mais pour moi c’est ce même modèle.

C’est facile en fait. Il y a quelque chose de facile dans la direction, l’expérience que je vis là, c’est là où ce n’est pas facile parce que là je me rends compte que je vais vers quelque chose de plus simple, c’est-à-dire dans mon quotidien j’entends, mais je sors de… Enfin, je me perds un petit peu.

AnBé – Non, je comprends ce que tu essaies d’exprimer, c’est que la facilité, c’est pas nécessairement que c’est facile tous les jours. Ce que tu fais non plus, parfois c’est bien plus facile de suivre le chemin, surtout qu’on a ce vécu humain qui fait qu’on devait être accepté dans un groupe, rester dans un groupe, et donc c’est beaucoup plus facile de faire comme tout le monde, d’accepter le schéma établi.

Félix – De suivre en fait.

AnBé – Toi tu passes beaucoup de temps…

Félix – La route est déjà tracée pour cette facilité et c’est difficile pour le coup d’y échapper. On y est pris dedans sans même s’en rendre compte. Et en fait, c’est quelque chose, donc ça file très vite. Mais c’est ça la facilité, mais qui est très complexe en réalité, parce que cette facilité de, voilà, si je devais avoir un boulot, un loyer, une voiture, souvent il faut un téléphone, un smartphone, un accès à internet et tout ça, on dépend de plus en plus de ça.

Et un smartphone en soi, par exemple, je prends cet exemple-là, il y en a plein d’autres, mais c’est quelque chose qui est facile d’usage. Tout est bien pensé pour que ce soit le plus facile. Mais on dépend, cette facilité, elle dépend d’une complexité énorme. Parce que tout ce qu’il y a, toute la technologie qui est présente pour ça. Elle est d’une telle complexité qu’on ne peut pas, on n’y a pas l’accès, on n’en est pas libre, on en est complètement dépendant.

Et c’est facile, mais c’est très compliqué en fait. Et la société, le mouvement nous amène à la facilité au sens où, mais comme pareil, une voiture, il y a juste à appuyer sur l’accélérateur et ça avance. Donc, il y a quelque chose de facile pour moi là-dedans. Où on ne fait pas d’efforts, on se laisse quelque part porter.

Mais donc d’échapper à ça et d’aller vers plus de simplicité, c’est-à-dire que là, moi, dans ce que je fais, voilà là où je fais la distinction entre facilité et simplicité. C’est que moi, dans ce que je fais, j’ai la maîtrise sur le matériel. J’ai tout construit par moi-même, donc s’il y a quelque chose qui casse, qui ne va plus, je ne suis pas dépendant, enfin je peux le réparer, je peux le refaire. Ma voiture, mon smartphone, si ça casse, je suis perdu en fait. Bien sûr, ça me facilite la vie, mais en fait c’est un peu une épée de Damoclès, le jour où quand tout marche, ça marche très bien, c’est très efficace, c’est très fluide et tout. Mais dès le moindre petit pépin, tout s’effondre quelque part.

Donc c’est facile, mais au détriment du…, on est dépendant d’une complexité. C’est facile, mais très complexe. Moi, ce que je vis, pour le coup, c’est plus dur, c’est plus difficile à vivre, mais c’est très simple.

AnBé – Tu essaies de ne pas être dépendant de l’électricité.

Félix – J’ai un peu d’électricité, j’ai un petit panneau solaire, mais en même temps, si je ne l’ai plus, ce n’est pas tant grave puisque j’ai fonctionné sans. Mais c’est vrai que quelqu’un qui a toujours vécu avec son téléphone, sa voiture, son… tout son confort, enfin le jour où il l’a plu, on se retrouve perdu.

AnBé – Oui mais tu as fait aussi ce saut-là, puisque je suppose que tu visais chez tes parents, donc tu ne vivais pas en yourte depuis ta jeunesse, donc tu as fait quand même un pas de géant et tu te disais, oui, extérieurement, l’hiver ça reste très dur. Et ensuite, il y a aussi le fait que tu te refuses les distractions. Tu veux vraiment essayer de détricoter tout ce qui a…

Toi, tu disais que tu essaies de ne pas de radio, pas de livre, pas de télévision, même pas de livre, à l’époque, on tournait le documentaire en tout cas. Tu préfères dessiner ou apprendre à… Il y a le téléphone qui est en train de glisser de plus en plus.

Et donc tu es vraiment dans l’exploration de « tiens quand on n’a pas toutes les distractions du quotidien que l’homme s’est inventé, qu’est-ce qu’on fait ? » Et qu’est-ce que tu as découvert là-dedans, dans cet ennui profond finalement dans lequel tu te laisses parfois entraîner ? Est-ce qu’il y a vraiment des moments finalement de grand ennui ?

Félix – Oui, oui, bien sûr il y a des moments de grand ennui mais en même temps de belles surprises parce qu’en fait tu te retrouves.. face à toi-même. Et puis, je suis souvent seul avec mon imagination. Et en fait, un peu la découverte, c’est que des fois, tu as l’impression de sombrer de plus en plus dans un ennui.

Et il y a des fois, tu vas tomber sur des idées où tu découvres ton imaginaire et tu le cultives. En le cultivant, il y a plein de choses qui poussent là-dedans. Et c’est bien qu’aujourd’hui, je ne m’ennuie plus, ou je m’ennuie tout le temps, mais en fait, c’est plus de l’ennui puisque j’ai cultivé mon imaginaire, donc j’ai plus peur quelque part, voire même j’ai plaisir à me retrouver dans ces phases d’ennui. J’en ai même besoin en fait. C’est très riche.

Bien sûr, vu de l’extérieur, il n’y a rien. De l’extérieur c’est pauvre, mais intérieurement c’est très riche et j’ai l’impression de ne pas en voir les limites en fait. Et donc il y a quelque chose de très… Qui apporte beaucoup de sérénité, d’indépendance en fait. Et je me rends compte que, voilà il y a une richesse intérieure que je continue à découvrir en fait.

AnBé – Qu’est-ce que tu explores comme ça si ce n’est pas indiscret évidemment ? C’est plutôt des idées techniques ? Il y a de la poésie aussi puisque tu chantes des choses qui sont…

Félix – Voilà, il y a de la poésie. Effectivement, on peut en voir concrètement. C’est la réalisation de la caravane, tous les petits objets, tous les petits trucs comme ça.

Après, il y a des fois des choses que je vais dessiner, peut-être que je les réaliserai, peut-être pas. Après, il y a les chansons. Les chansons, c’est purement quelque chose qui sort de l’intérieur, en fait.

Voilà, c’est ça, après plein de pensées, tout ce que je raconte là, même aujourd’hui, c’est des choses que j’ai cultivées, que j’ai découvertes dans des moments d’intériorité, on va dire. Puis là, il sort ce qu’il sort aujourd’hui, mais c’est suivant les questions, suivant les idées qui me viennent.

Et puis, tu me poserais ces questions dans une semaine ou dans un mois, où tu me les aurais posées il y a un an ou il y a deux ans, j’aurais répondu différemment parce que suivant le chemin, suivant où en est ma réflexion, ça évolue en permanence.

AnBé – En tout cas, je voulais te le dire, c’est un grand privilège de parler avec toi parce que c’est vrai que ce n’est pas grand monde qui va aussi loin dans une démarche comme celle-là. Ce n’est pas quelque chose qui était rigoureusement pensé, c’est très spontané, c’est quelque chose de rien qui dit « bah tiens, si je suis dans ce trip-là, de lenteur, bah oui, il faut pas que j’aille commencer à m’encombrer de tout ça et puis tiens, Je ne vais pas prendre des distractions puisque je suis là pour explorer ce qui se passe quand on n’en a pas.»

C’est ce que j’aime, c’est cette fraîcheur de la démarche. Donc il n’y a pas de lourdeur. C’est très spontané, mais c’est très profond. C’est génial comme expérimentation. C’est pour ça que je trouve que c’est vraiment comme si tu expérimentais tous les jours. Tiens, et qu’est-ce qui se passe si ?

Félix – Oui c’est ça, c’est beaucoup voilà… Puis ce n’est parce que là je vis comme cela, de façon totalement, ou je me détache de beaucoup de choses, où j’ai pas de distraction, que demain, je peux vivre l’opposé.

AnBé – Tu ne t’imposes pas, oui, c’est ça. Tu ne te l’imposes pas. Tu explores.

Félix – Voilà, j’explore et puis je peux changer si j’ai envie de changer. Enfin, j’ai de compte à rendre à personne, j’ai pas d’image à tenir. J’ai pas de… Et voilà.

AnBé – Ça, j’aime beaucoup aussi de dire, oui, oui, bon, aujourd’hui, c’est comme ça, mais demain, je ne promets rien. Et jusqu’à présent quel est peut-être le truc que tu as découvert comme ça dans cette exploration, qui a le plus changé ta manière de vivre ou ta manière de voir la vie et ce que tu veux en faire ? T’as une réflexion à partager ? Un truc qui a vraiment switché ?

Félix – Après, c’est un petit peu, je dirais, c’est peut-être des choses que j’ai un petit peu déjà dites. Oui, je pense qu’il y a ce rapport au temps. Enfin, je m’en suis rendu compte très rapidement en fait dès que je suis parti. Je me rendais compte que le fait de ne rien planifier, ça c’est quelque chose qui est logique dans ce que je fais au sens que si je venais à planifier quelque chose, c’est-à-dire fixer une date et un lieu, sachant que mon vélo et ma caravane, c’est très bancal, ça peut casser à tout moment, ça peut s’arrêter de rouler à tout moment.

S’il y a un vent de face, je ne peux plus rouler. Si à l’époque, c’était pas étanche, donc s’il pleuvait, je n’allais pas rouler. Donc en fait, ça n’avait pas de sens de dire : « tiens, je serai là à telle heure, à tel moment ». Donc en fait, ça a sorti presque une règle pour moi de dire, bon, en fait, je ne planifie pas. Et donc, si je rencontre des gens sur la route et ils me disent, « Ah, écoute, viens, essayez de venir ce soir, j’habite à 10 km », bah moi, pour moi, je ne peux pas dire oui. Si je m’engage là-dessus, c’est trop risqué quelque part.

Donc j’en suis arrivé à me dire que je ne planifiais rien. Si quelqu’un me dit que je viens ce soir, je dis que peut-être que je viens ce soir, mais peut-être que j’arrive demain, peut-être que j’arrive après demain, peut-être que j’arrive la semaine prochaine, peut-être que je n’arrive jamais. Proposer ça comme ça, de se dire que si ça doit se faire, ça se fera, si ça ne se fait pas, ça ne se fait pas. Mais par contre, en fonctionnant comme ça, c’est de dire que si moi je viens la semaine prochaine, si tu n’es pas disponible, il n’y a pas de souci. Ce n’est pas moi, j’ai mon autonomie aussi.

Et en revenant à ça, tout simplement, c’est un truc simple, je ne planifie rien, c’est que je ne peux jamais être en retard. Le retard disparaît. Et ça, pour moi, c’est vraiment une découverte assez fondamentale et qui élimine une quantité de problèmes que j’avais avant ou dans un quotidien plus classique. Cela veut dire que tout découle de ça et même les questions écologiques, j’ai envie de dire, tout ça il y a un rythme.

Donc le fait de rien planifier je ne peux pas être en retard, je peux pas non plus me tromper de route puisque je ne sais pas où je vais. Ce n’est pas possible. Après de tout ça va en découler la vitesse. La vitesse n’a plus de sens. Si je ne sais pas où je vais, que je n’ai pas de lieu où atterrir, que je n’ai pas de date, à quoi bon aller vite ?

Donc souvent des gens qui me disent pourquoi tu ne mettrais pas un petit panneau solaire et un moteur électrique ? C’est quand même un truc assez classique. Je ne peux pas dire de ne pas y avoir pensé, mais c’est que ça n’a pas de sens, parce que à quoi bon aller plus vite ? Je ne sais pas où je vais. Donc je vais à un rythme qui m’est dicté, je ne sais pas trop par quoi, mais dans ce rythme-là, je vois d’autres choses.

J’ai le temps de rencontrer les gens, j’ai le temps de rencontrer la nature, j’ai le temps de.. J’ai le temps en fait.

AnBé – T’as le temps de trouver des champignons sur la route parce que tu as le temps de les voir (rire).

Félix – Voilà, c’est ça, j’ai le temps de les voir pousser même (rire).

AnBé – (rire).

Félix – C’est vraiment ce rapport au temps. C’est ça, je pense que c’est ça… La plus grande et à la fois la plus petite découverte que je fais.

AnBé – J’aimais bien, tu disais, c’est souvent plus facile, à nouveau de facilité, de courir et de se fuir soi-même. Donc prendre le temps et laisser du temps au temps, c’est un inconfort, mais qui apporte une certaine sérénité. Oui, une certaine joie finalement.

Félix – Oui, même une des choses que je constate, c’est que souvent la meilleure chose dans ce que je vis aujourd’hui, c’est le temps. Et la pire des choses, c’est le temps. Parce qu’en fait, le fait d’avoir tout son temps, quand il fait beau, que c’est sympa, que tout va bien, on a l’impression de pouvoir profiter de façon infinie. Mais quand le temps est plus dur, qu’il y a des doutes qui vont venir là de la peur, de l’angoisse, le temps, il est hyper dur. Pour moi c’est à la fois la pire et la meilleure des choses, d’avoir ce temps. Ces moments difficiles, c’est là où on aimerait bien ne pas avoir à se poser de questions.

AnBé – Allumer la télé.

Félix – Exactement, se fuir dans ces moments-là. On a envie de vivre les beaux moments. Mais pour moi, alors c’est peut-être complètement fou, je sais pas, mais c’est vrai que je suis peut-être un peu prisonnier de cette façon de voir les choses, mais de se dire que pour vivre les choses avec intensité, pour vivre des moments forts. J’ai l’impression qu’il faut vivre des moments un petit peu plus difficiles. C’est peut-être complètement faux, mais j’ai l’impression que ça crée, comme dans un paysage, une montagne par exemple, on va souvent retenir le sommet, mais pour qu’il y ait un sommet, il faut qu’il y ait des vallées entre.

AnBé – Si tu as la plus belle journée de ta vie tous les jours, c’est plus la plus belle journée de ta vie.

Félix – Exactement. Voilà, si je reprends le côté des sommets, si on met tous des sommets côte à côte…

AnBé – Tu es sur une plaine.

Félix – On a une plaine. C’est ça. C’est beau, une plaine aussi. Il n’y a pas de… Et la plaine…

AnBé – Il n’y a pas de jugement à nouveau.

Félix – C’est ça. Mais il y a un peu cette idée de passer un petit peu par ces phases. Alors, c’est pas forcément… Même là, j’en suis à ma dire que ce n’est pas forcément désagréable. Le fait de passer par des phases plus sombres, plus vides, plus d’ennuis. Il y a quelque chose de beau là-dedans aussi. Il y a des beaux moments de bonheur, même dans des phases plus vides, plus de tristesse où le temps peut être plus fade ou moins lumineux. Il peut y avoir des phases de bonheur là-dedans. C’est ce que je découvre aussi dans cette expérience.

AnBé – Tu les avais dès le début où c’est vraiment à force de travailler là-dessus que tu te dis maintenant, tiens, même ces phases-là maintenant, ça passe. Je crois que c’est grâce à ton travail aussi que t’en as arrivé là, à mon avis, le premier à arriver cela n’était peut-être pas aussi serein. C’est un travail sur toi que tu fais, un travail qui n’est pas : « JE VAIS TRAVAILLER SUR MOI AUJOURD’HUI ». C’est ça, ça se fait tout simplement très naturellement.

Félix – Oui, tout à fait. Où c’est de voir, des fois, c’est après coup. Quand on ne s’en rend pas compte sur le coup…Mais ça me fait penser, j’ai une anecdote en tête, ou c’est un moment ou cela m’avait fait un peu un déclic sur un truc qui ressemblait un peu à ça. Une fois, j’avais vraiment plus grand-chose à manger.

Voilà, c’était une phase un peu plus vide. J’étais pas loin, il y avait une maison pas très loin. Ils cuisinaient, ça donnait envie, il y avait une odeur. J’étais là à me dire : « oh, j’ai faim, j’aimerais bien pouvoir manger ». Et dans ce moment-là, je me disais : « ok, bon, c’est difficile, c’est pas agréable », mais je me disais : « oui, mais où est ma chance ? Tiens, pourquoi là, pourquoi ce que je traverse là, c’est super ? Tiens, il doit y avoir quelque chose à aller chercher mais j’arrive pas, là, si je suis sincère sur le moment ben oui j’aimerais quand même mieux être dans la maison à côté et puis être au chaud et manger ». Mais non ! Là, il y a quelque chose à aller chercher.

Je suis bien dans ce que je fais là maintenant et même si j’ai quelque part cette frustration, ce manque quelque part. Et j’ai pas trouvé tout de suite. Mais plusieurs mois après, j’arrive chez des gens et je rigole un petit peu. Puis là, ils me proposent de garder la maison. Ils partaient 5-6 jours en vacances et ils me disent « t’es libre, tu fais ce que tu veux, on t’a fait des courses pour la semaine, nous on va partir, si tu veux rester et garder la maison, nous ça nous arrange, ça nous va très bien, on serait ravi de te voir aussi en rentrant. »

Donc ils m’ont cuisiné plein de trucs, j’avais un coup là où je suis toujours un peu sur le fil du rasoir à ne pas avoir grand-chose. Tiens, là tout d’un coup, je sais que pendant une semaine je vais avoir largement de quoi manger. Donc le truc qui est finalement génial et à ce moment-là je suis tombé un petit peu malade et en fait j’avais pas faim du tout sauf que j’avais plein de trucs à manger et là je me suis souvenu de ce moment où j’étais dans le manque, mais que j’avais pour le coup, j’avais très faim. Et je me suis dit, mais la pire des choses, enfin, pas la pire des choses mais là le fait de manquer et d’avoir faim, c’est une chance.

C’est une chance parce que je suis pas malade, je suis en pleine forme et je me sens vivre en fait. Et là, dans ce moment où j’avais tout, mais il y avait qu’une chose que je n’avais pas, c’était l’appétit. Et je me dis, quelle chance j’ai. Dans cette expérience de façon générale, c’est un peu ça, c’est que je me sens vivre, j’ai de l’appétit. J’ai de l’appétit dans plein de domaines différents, une curiosité sur plein de choses différentes.

Ça peut être l’aspect matériel, mécanique du côté ingénierie, mais ça m’ouvre sur plein d’autres plans d’écriture, littérature, philosophie, spiritualité, enfin plein de… C’est un petit peu ça, c’est des fois en fait de passer par le manque, vivre le manque, c’est une chance. Aujourd’hui, c’est ce qui m’amène à me dire qu’il y a des phases plus vides, des phases d’ennui, des phases de, ce que même certains pourraient appeler la dépression. Une dépression, je ne la vois pas comme quelque chose de néfaste, une dépression au sens physique du terme, c’est une détente.

Il y a plein de moteurs, le moteur à explosion qui fait tourner les sociétés aujourd’hui, on retient l’explosion parce que c’est ce qui est impressionnant, c’est ce qui est un peu incroyable, c’est ce qui est lumineux, c’est ce qui est bruyant. Mais en fait, on oublie que dans le cycle du moteur il y a beaucoup de détente. Et on n’appelle pas ça un moteur à détente, on appelle ça un moteur à explosion. On retient toujours le plus et pas le moins. Mais le moins crée le plus.

Donc dans l’expérience que je vis là, il y a cette idée de vivre les creux, de vivre le vide de l’intervalle. Comme en musique, ça se revoit en musique. En musique, on dit de la musique, le son. Mais ce qu’on oublie, c’est pas…

AnBé – Le silence, parce qu’ils sont tout aussi importants

Félix – Voilà, le non-son crée le son aussi, la beauté, la richesse. Et cela est vrai dans plein de choses, le fait d’avoir fait le documentaire avec Mathieu, je me rends compte que créer un documentaire, un film, il y a une idée de rythme, c’est comme le montage doit respecter des temps de pause, des moments un peu vides, puis des moments forts, mais si c’est que du fort, du fort, du fort, ça nous…

AnBé – C’est trop, c’est trop ça gave.

Félix – Ça gave et ça devient plat, mais comme quand je vais chez des gens qui ont la télé allumée, les informations, j’ai l’impression que c’est que des pics. On nous balance plein de choses. J’ai l’impression que ça manque de manque. Il y a ce truc de : le manque, le moins, le rien, la dépression, le vide et aussi le contenu, la matière, le plus, le sommet, le son, enfin c’est tous rejoint quoi. Donc, oui, passer par ces phases un petit peu plus calmes, c’est pas forcément un mal bien à l’inverse, et de trouver des moments de bonheur, de plaisir là-dedans, c’est je pense quelque chose que je découvre aussi dans cette expérience.

AnBé – C’est très fort ce que tu dis. C’est plein d’espoirs parce que ceux qui sont dans un creux. C’est super. Cela peut être fertile !

Félix – Exactement. C’est une chance. Je pense que c’est un moment propice pour planter des graines, à faire germer des idées. On peut faire aussi le rapport avec l’ombre et la lumière. Dans les plus, je dirais que c’est le moment plus lumineux, le sommet, on est au sommet, on est sous les projecteurs, par exemple. Quand on est sous les projecteurs, on est aussi souvent ébloui par la lumière. Quand on est dans l’ombre, quand on est plus dans la salle derrière, quand on est plus spectateur, on n’existe pas non plus, on est dans l’ombre. Et bien par contre, l’avantage qu’on a, c’est qu’on a beaucoup plus de vue, on voit beaucoup mieux. Donc…

AnBé – J’adore cette métaphore.

Félix – Tous ces rapports-là, c’est pour moi toujours la même idée qui ressurgit, mais voilà. L’obscurité, le manque, le moins, le tout ça. Ça a son importance. Si on voit sa chance, c’est plus de ça, c’est trouver sa chance. C’est cela qui est important.

AnBé – J’ai retenu de ton film une phrase d’une chanson que j’aimais bien. C’était : « beaucoup de bonheur, parfois de la peur, quand on ne fait pas semblant d’être vivant ». Pour toi, on fait souvent semblant d’être vivant ?

Félix – Oui, belle question ! La chanson, ça vient comme ça vient, pour moi. En tout cas, pour ma part, oui, je pense qu’avant, je faisais un peu… J’ai l’impression que je faisais semblant, je n’étais pas vraiment moi. Et en même temps, si, il y a des fois…

AnBé – Tu étais dans la facilité peut-être pour y revenir ?

Félix – Peut-être dans la facilité, mais le fait d’être dans la facilité, c’est aussi un indicateur sur qui l’on est. Ce n’est pas un mal en soi, c’est pas un problème en soi. Mais il y en a qui vont réaliser ce qu’ils ont au fond d’eux et c’est un trait de caractère, il y en a qui ne le font pas. Et c’est un trait de caractère, le fait de ne pas exprimer ce qu’on a en soi, est-ce grave ? Non.

Enfin, je pense qu’on peut aussi être heureux sans exprimer qui l’on est. Je sais pas, c’est une question que je me pose. Le fait de suivre est un trait de caractère en soi. Ce n’est pas un défaut, ce n’est pas un problème. Je pense qu’il y a des gens qui peuvent très bien le vivre.

Et moi, peut-être que là, je vis un truc un petit peu hors des sentiers battus, hors du groupe. Mais je ne suis pas dans le reproche. Je ne suis pas dans le…

AnBé – Tu n’es pas le punk rebelle (rire).

Félix – Je me fais une petite excursion, j’explore et peut-être qu’un jour je reviendrai sur quelque chose de plus conventionnel et je pourrais être très heureux là-dedans. C’est ça qui est aussi intéressant, je rencontre beaucoup de gens et je vois des gens qui sont dans une vie très conventionnelle et pour qui ça leur convient très bien. Je trouve ça super.

De la même façon, je vois aussi des gens qui vont essayer de sortir justement du cadre, de s’extirper, tout ça, et qui ne sont pas forcément heureux. Donc je pense qu’on peut ne pas se connaître du tout et être heureux aussi. Je ne sais pas comment dire. Pour moi, c’est pas une…

AnBé – Pas de dogme.

Félix – J’ai des fois l’impression que quand je commence à me dire « tiens, j’ai l’impression que ça fonctionne comme ça » ou que « tiens, oui, il faut se connaître soi pour si… » En fait, la vie va m’apporter un contre-exemple. Je n’ai pas de message à faire passer là, je n’ai pas de recette.

AnBé – C’est déjà un beau message , justement, de dire qu’il ne faut pas chercher la formule, la clé magique qui ouvre toutes les portes. Parce qu’il y a plein de portes, il y a plein de serrures et donc il faut plein de clés.

Félix – C’est ça, oui.

AnBé – L’objet qui t’es indispensable dans ton aventure, l’objet qui t’es le plus utile ?

Félix – Qui m’est le plus utile ?

AnBé – Le truc, si tu devais conseiller à quelqu’un si tu pars dans ce genre d’aventure, un truc dont tu vas rassembler tous les jours.

Félix – Je me rends compte qu’il y a un objet qui m’est pas mal utile. Je crois que c’est la guitare. C’est le premier objet qu’on m’a donné. C’est un très bon compagnon de route, en fait. Je ne joue pas bien. Enfin, en guitare, j’ai pas forcément appris grand-chose. Je fais souvent un peu les mêmes choses. Mais c’est vrai que ça permet des fois d’apaiser…

Enfin, c’est un truc, elle est juste à côté puis ça peut paraître quelque chose de pas du tout indispensable. Je veux dire, on pourrait penser à un sac de couchage. Voilà, un sac de couchage, oui, c’est sûr que ça semble hyper important. Et en même temps… Ce qui est drôle, c’est que je ne suis pas du tout dans la performance. Je n’ai pas évolué en niveau, mais c’est plus en… C’est vraiment la bonne compagnie. Ça en devient quelque chose d’assez utile.

C’est vrai que ce n’est pas manger, ce n’est pas les besoins primaires. Et en même temps, ça va me rattraper dans les moments difficiles. Justement, ça me permet aussi d’explorer, de moins avoir peur. Ça me permet d’aller explorer ces passes d’ennuis, ces passes de difficultés.

C’est comme si, voilà, c’est mon vaisseau, c’est ma coquille pour aller explorer un espace immatériel, on va dire. Comme voilà, on va prendre un… Il faut une fusée pour aller sur la lune. Il faut un sous-marin pour aller je ne sais où, il faut une voiture pour aller… Je ne sais quoi. La guitare, c’est ce même objet, c’est ce même outil, mais pour aller dans quelque chose d’intérieur.

C’est un outil pour ça qui est important, qui a son importance. Mais il y en a plein, ça peut être le dessin, l’écriture, mais c’est pas forcément des choses dont j’ai pas évolué en technique. Ça permet d’aller chercher des choses.

AnBé – Quel est le fail, l’erreur, l’échec qui t’a le plus appris ? Et après, on parlera du succès.

Félix – Suivant comment on se positionne, il n’y a pas d’échecs.

AnBé – Justement, c’est bien ça, oui. C’est ce que je veux dire, un échec en général on apprend. Ou alors si on n’apprend vraiment rien, c’est vraiment un échec.

Félix – En fait, je me souviens d’une phrase, je ne sais plus. J’ai dû retenir, je ne sais pas d’où ça sort. Je ne sais pas qui a écrit ça : dans la vie, je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends.

AnBé – Oui, oui, c’est une phrase que j’aime beaucoup aussi. Je ne sais pas dire non plus qui c’est, mais j’aime bien.

Félix – Et d’ailleurs, c’est une chose que quand j’étais à l’école d’ingénieur, quand je fabriquais mon vélo-canoë, je n’avais pas beaucoup de temps parce que je faisais ça sur mon temps libre. Et à un moment, je voulais reprendre, enfin je voulais essayer de faire passer ça dans un projet d’atelier, pour essayer d’avoir des heures. Et j’étais allé voir le prof et le prof m’avait dit : « Ah mais le problème c’est que c’est un peu trop farfelu ton truc et on ne sait pas comment l’évaluer».

Là pour moi, ça m’a fait prendre conscience d’une chose, c’est qu’à l’école en fait on me fait faire des choses, on les conditionne pour qu’elles soient évaluables, comparables. Et là, en fait, dans la création de cet objet, je sors de ça. Il n’y a pas de comparaison. On ne peut pas l’évaluer.

Donc, ça veut dire qu’il n’y a pas d’échec. Je ne peux pas me tromper. Si même mon vélo-canoë, s’il coule, pour moi ce n’est pas un échec. Donc l’échec, on le crée nous-mêmes. Dans un certain cadre, on va définir un cadre, on va mettre des règles qui vont générer l’échec. En fait, on peut en sortir de ça. Donc l’échec c’est une vue de l’esprit pour moi.

AnBé – Excellent.

Félix – Donc face à n’importe quelle situation, libre à moi d’être en échec ou pas, suivant comment je me positionne.

AnBé – Ça c’est la meilleure réponse que j’ai jamais eu je crois.

Félix – La meilleure, t’as déjà comparé pour le coup.

AnBé – Ah je suis désolée. Non mais c’est… (rire)

Félix – (rire) Non, non, y a aucun souci, je te dis juste ça.

AnBé – Il me taquine, il me chambre.

Félix – Je taquine, je taquine.

AnBé – C’est bien, c’est bien. Y a aucun souci, je suis preneuse. Le succès dont tu es le plus fier, et ça aussi, ça demande de… J’adore les réponses de ça parce que ça demande tellement, ça en dit tellement long sur les personnes, ce qu’ils considèrent comme étant un succès.

Félix – Je vais utiliser mon joker ou ma réponse classique, c’est que je ne sais pas. Mais bien sûr, on va pouvoir dire que ça va être d’être reconnu. Enfin, il y a le succès pour l’autre, on va dire. Enfin, le succès de façon… Enfin, ce que j’entends par succès, mais ce qui n’est pas pour moi le succès, ça va être la reconnaissance, la gloire, l’argent. Mais pour moi, ça s’est lié quand même beaucoup, peut-être lié un peu au regard de l’autre, je ne sais pas, enfin…

AnBé – Ça c’est une dépendance. Ça c’est la chose que tu n’aimes pas, la dépendance. Si le succès, c’est dépendre du regard de l’autre.

Félix – Exactement. Mais en fait, il y a ce truc de… Est-ce que ce que je fais, est-ce que c’est justement pour une reconnaissance, ou sinon, pourquoi je le fais ? Dans cette expérience que je fais là, il y avait un petit peu…

Quand j’étais à l’école d’ingénieur par exemple, je me suis rendu compte que ce qui fait que je vais à l’école d’ingénieur, ce qui fait que je prends cette voie-là, bon certes j’aime beaucoup bricoler, concevoir, fabriquer, j’aime la physique, mais je me rends compte que le réel moteur en fait c’est plus pour le coup la reconnaissance, plus le succès.

Quand j’étais à l’école, oui, vous êtes à l’école, vous avez la chance, vous pouvez apprendre plein de trucs. En fait, en réalité, pour moi, si je suis honnête, mon moteur quand j’étais à l’école, c’était clairement la reconnaissance. Donc, c’était d’avoir une bonne note. Donc ça, pour moi, c’est déjà là, si on va rechercher le succès qui, quand tu es à l’école, c’est des notes.

Quand tu es après, c’est le salaire, le poste, c’est à dire que tu vas être responsable de tel truc, directeur de je ne sais quoi, professeur…

AnBé – Le titre ronflant.

Félix – Un titre ronflant, voilà. Donc ça, c’est une reconnaissance, c’est un succès quelque part. Quand on va poser la question, tu fais quoi dans la vie ? Ben, je suis docteur en je-ne-sais-quoi, je suis directeur de machin. Sa place, tu vois. Mais ça, quelque part, et l’expérience que je fais là, il y a un peu ce truc de, ok si j’enlève tout ça, si j’enlève ces titres, cette reconnaissance, ce succès, si je ne cherche pas ça, qu’est-ce que je fais ? En cherchant assez profondément en moi, à me dire « tiens, dans la vie, qu’est-ce qui m’a épanoui ? Qu’est-ce que j’ai fait ? » peu importe ce que les gens pensent.

J’aimais beaucoup être dans la nature, j’aimais beaucoup aller à la pêche. J’aimais beaucoup découvrir des trucs, bricoler, faire des bricolages, des expériences, tout ça, et puis découvrir plein de choses en fait. Quelque part, je me suis dit, tiens, qu’est-ce que ça fait si je vais dans cette voie-là ? Et entre la fin de mon école ingénieure et puis là mon départ. Ce qui était très difficile, c’était d’avancer sans lumière, sans reconnaissance.

Quand tu es à l’école, on va te mettre une note, qu’elle soit bonne ou mauvaise, peu importe. On te dit où tu en es, tu as un repère en fait. Tu as une mauvaise note, bon bah faut travailler plus, tu as une bonne note, c’est très bien. Mais là, dès lors que j’ai commencé à réfléchir à là et ce que je vis aujourd’hui, ça n’existe pas pour l’autre. Si quand bien même j’allais parler de cette expérience-là, les gens vont me dire « tu fais quoi dans la vie ? », « Je veux partir, je veux essayer de vivre avec eux trois fois rien, dans une petite caravane, je veux essayer de me construire une petite caravane. » Et les gens souvent me disaient « oui, non mais je veux dire sérieusement, tu fais quoi ? »

C’est l’ignorance en fait, c’est le truc, ton truc n’a aucune valeur, aucune reconnaissance, aucun succès à la clé de tout ça. Et comment tu avances dans ça, sachant que quand tu es tout petit, depuis le début tu avances à la carotte, la note, enfin le succès qui va juste muter et se transformer par la suite. Là c’est tiens, il n’y a plus rien.

Comment tu fais pousser une plante sans lumière ? J’étais dans une métaphore où je me comparais un peu à un arbre qui la, végète toute cette année, où je couvais un peu ce truc-là, et je me disais… Là, mon feuillage a du mal à prendre, parce qu’il y a plein d’autres arbres… Je suis dans une forêt où il y a plein d’ombres partout, je suis dans l’ombre, là. Et je me posais la question de comment avancer dans l’ombre.

Je me disais, tiens, mais ok, là, je suis peut-être dans l’ombre. Mais l’ombre, en fait, il y a du bon. On pense souvent à un arbre, quand on voit un arbre, on voit l’extérieur, mais l’extérieur c’est le feuillage qui cherche toujours la lumière, qui cherche quelque part le succès.

Mais on oublie que l’arbre, s’il existe, c’est aussi et surtout qu’il y a des racines. Dans ces moments-là, je développais les racines et je trouve que les racines, on va les faire beaucoup plus, enfin c’est quelque chose qui est de l’ordre de l’ombre, de l’invisible. Je poserai au succès la lumière. Dans ce que je vis là, quelque part, la lumière me fait peur.

Je dirais que je suis parti sur une idée de vivre sans lumière. Explorer, qu’est-ce que ça fait de vivre sans lumière, sans succès, sans reconnaissance, pour pouvoir être justement libre et que ce ne soit pas le regard de l’autre, le succès, la gloire, l’argent qui dictent ce que je veux faire.

Dès lors que je suis parti et que j’ai fait ça, le paradoxe, suite à cette phase d’ombre où je n’existais pas, ce que je visais, ce que j’étais n’existait pas, et dès lors que je suis parti, les gens sont venus me poser la question, mais qu’est-ce que tu fais ? Tu vas où ? Et petit à petit, les gens se sont intéressés à moi. Comme si le fait d’avoir mis le doigt sur tiens, j’arrive à avancer, j’ai réussi à avancer sans lumière, c’est là que la lumière vient.

Parce qu’aujourd’hui, je suis beaucoup plus dans la lumière, je suis dans la lumière aujourd’hui. Donc je ne sais pas si là demain on me la coupe, cette lumière, est-ce que je continue à avancer ou pas ? En tout cas, ça s’est construit sans la lumière. Ce qui va donner de la profondeur aussi dans tout ça, c’est que la genèse elle se fait dans l’ombre. Et là, effectivement, je découvre la lumière.

Et j’avoue que ça me fait quelque part peur, je suis attentif à ça. Mais quelque part, qu’est-ce que c’est le succès pour moi ? Eh bien, je reviens à la première réponse que j’ai donnée, c’est je ne sais pas. Est-ce que cette lumière est vraiment mon succès ? Pas sûr. Le succès, la reconnaissance, en tout cas de l’autre, arrive là pour moi. Mais est-ce le succès ? Pas sûr. Et la réponse, c’est je ne sais pas.

AnBé – Excellent. Alors ton actualité du moment et tes projets futurs, ce que tu fais aujourd’hui on le sait, mais les projets futurs ça va être je ne sais pas. Mais donc dans quelle région est-ce que tu circules pour le moment ?

Félix – Là je suis en France, en Isère.

AnBé – Est-ce qu’il y a des festivals où on pourra te rencontrer encore prochainement ?

Félix – Après, je mets toujours l’incertitude du je ne sais pas si je viendrai parce que voilà, c’est un problème purement matériel qui est de… Et donc je serai peut-être, il y a un festival de voyages là, mais je ne sais pas si… Parce que le fait que il y ait certaine incertitude, je ne sais pas s’ils prendront le truc qui doit être fin juillet, et ça doit être à Caylar dans l’Hérault. Il y a le festival en Suisse, le FIFAD je crois, comment ça s’appelle ? Enfin, un festival d’aventure Diablerets en début août. Et puis voilà, après je crois qu’il y en a un autre, je ne sais plus où c’est. Et puis après peut-être Bordeaux, mais je ne sais pas si c’est acté encore.

AnBé – Ouvrez l’œil ceux qui ont envie de voir ton film et peut-être de te rencontrer. Alors pour suivre justement ton actu, c’est un peu compliqué, je suppose, où il y a un endroit quand même où c’est publier.

Félix – Oui, c’est très simple, mais bon, on ne peut pas forcément la suivre. C’est très dur.

AnBé – D’accord, donc voilà, c’est bien que ce soit dans le podcast. Alors ton film est disponible sur YouTube, je mettrai les liens dans l’épisode et je te remercie beaucoup pour ton temps ce matin. C’était vraiment un grand plaisir de te revoir.

Félix – Merci à toi. Peut-être une prochaine.

AnBé – Ah oui, je sais pas.

Félix – Je sais pas. Ça marche.

AnBé – Ce serait avec plaisir en tout cas. Bonne route à toi.

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